Planification : il est temps de revoir nos méthodes de travail

Planifions-nous à outrance au travail ? L’avis de l’expert tech Paul Armstrong.

Surplanifier nuit à productivité et à la confiance sur les lieux de travail dans le monde entier, et coûte à l’économie près de mille milliards de dollars. Le recours aux outils de planification à mauvais escient fausse non seulement la perception qu’ont les entreprises de la productivité de leurs équipes, mais pousse également le personnel à adopter des comportements contre-productifs. Alimenté par une recherche erronée de la productivité maximale, ce problème systémique conduit à l’épuisement professionnel, à la démotivation et à la tromperie de l’entreprise. Il est temps de repenser notre approche de la planification, en reconnaissant son impact sur la confiance au sein de l’organisation et sur la productivité réelle qu’elle est censée améliorer.

La surplanification : une problématique généralisée

'Do more' text on an Apple Mac screensaver

On ne peut certes pas gérer ce que l’on ne peut pas mesurer, mais créer un environnement qui encourage le personnel à tromper son employeur n’est pas judicieux et pousse les équipes à adopter un cycle d’autres comportements contre-productifs, qui agissent à terme au détriment des intérêts de l’organisation. Les données d’Atlassian suggèrent par ailleurs que le personnel moyen considère que 50 % du temps passé en réunion est du temps perdu, et nous sommes bien là face à un problème généralisé.

A l’issue de la pandémie, les entreprises constituent un environnement agité, l’écume à la bouche, avide d’une productivité maximale imaginaire, alimentée par les géants de la tech, des entreprises comme Calend.ly, Acuity, la culture du toujours plus, toujours plus vite, et l’incertitude économique. La poursuite d’une à la productivité parfaite plutôt que de résultats concrets est devenue la norme. À la recherche de leur prochaine solution, les cadres surchargent leurs équipes, qui se retrouvent en situation d’épuisement professionnel, de mal-être et, pire encore, risquent d’être tentées de tromper l’entreprise. En effet, ces dernières préfèrent payer ses employé·es à mentir sur leur rendement plutôt que de changer les systèmes et les politiques incohérents qui font passer la charge de travail avant tout sur leur échelle de valeurs.

Grâce aux nouvelles technologies, il est plus facile que jamais de prévoir une réunion, mais on ne tient pas compte des multiples éléments qui entrent en ligne de compte : qui, pourquoi, durée, résultats attendus. Cela va de la réunion à laquelle toute l’équipe est convoquée mais à laquelle trois personnes seulement auraient dû participer, à la réunion « qui aurait dû faire l’objet d’un e-mail », ou encore celle organisée pour faire le point, qui se résume en une ligne mais qui, comme par magie, a valu 30 minutes de réunion et une présentation PowerPoint. Les calendriers sont remplis, mais pas nécessairement de réunions productives. Au contraire, les outils dénoncent les employés et sont utilisés comme des coups de fouet virtuels, virtuellement ou au moment de l’évaluation. Le problème ? La confiance. La plupart des entreprises n’ont tout simplement pas confiance en leurs équipes pour accomplir leur travail et ne disposent pas de la structure ni des compétences nécessaires pour les superviser correctement et veiller à ce que chaque personne dispose de ce dont elle a besoin pour réussir.

A colleague on a Zoom call at work

Je ne me fais pas d’illusion : la raison d’être de la plupart des entreprises, c’est gagner de l’argent et produire de la valeur pour leurs actionnaires, mais ce modèle s’effondre de plus en plus souvent de lui-même sous nos yeux. Nous n’avons pas besoin de repartir de zéro, mais il existe des données scientifiques et des informations intelligentes qui peuvent aider tout le monde à sortir gagnant. La science est sans équivoque sur ce point : les réunions interminables et successives entraînent une baisse de la durée d’attention, une démotivation et une lassitude à l’égard des processus décisionnels.

Repenser la notion de productivité dans un contexte d’incertitude

Les outils ne sont qu’en partie responsables ; après tout, ils ne font que ce que nous leur demandons. Le plus souvent, le « nous » en question désigne les postes de cadres. Le problème est que nous ne configurons pas ces outils avec des règles qui s’appuient sur la science ni en faveur de l’individu. Le groupe d’ingénierie des facteurs humains de Microsoft a constaté que les réunions successives réduisent la productivité et la concentration, mais est-ce que l’un des outils alerte les personnes sur le fait que la réunion qu’elles viennent d’organiser les empêchera d’aller aux toilettes dans la journée ? Non. Imaginez un calendrier permettant de maximiser votre impact et pas seulement les heures travaillées, un coach de productivité sain. L’IA y contribuera, et cette tendance devrait émerger au cours des 24 prochains mois. On voit déjà poindre ce phénomène, avec des personnes qui insèrent des captures d’écran de leur agenda dans des outils tels que ChatGPT et demandent des conseils pour améliorer leur planning.  

A company team meeting taking place at the office

Maintenant, imaginez une nouvelle ère, où les outils intègrent des règles de productivité qui aident réellement les équipes à donner le meilleur d’elles-mêmes et pas seulement à avoir l’air occupées. Où l’on vous demande, lorsque vous allumez votre pc, comment vous vous sentez (ou même, où vos appareils prennent déjà des décisions pour vous !) Pourraient-elles reporter automatiquement les réunions en fonction du manque de sommeil de la nuit précédente ? Le lieu de travail évolue vers une approche plus réfléchie grâce à l’IA générative et aux domaines de l’intelligence artificielle liés à l’apprentissage automatique.

Le nœud du problème réside dans l’idée fausse selon laquelle un agenda surchargé est signe du caractère indispensable et de la productivité d’une personne, ce qui est souvent doublement préjudiciable en période de mauvaise conjoncture économique. Le personnel est incité par un système de croyances à remplir son emploi du temps de réunions, souvent successives, sans se préoccuper suffisamment du travail réel à accomplir en dehors de ces engagements. Il en résulte une main-d’œuvre qui semble occupée mais qui est probablement moins efficace, car des tâches essentielles sont mises de côté pour sauver les apparences.

Le piège de la confiance

Le point le plus important ici est la confiance. Les entreprises doivent cesser de considérer le non-travail comme un manque de professionnalisme. Les pauses entre les réunions devraient plutôt être considérées comme impératives. Les supérieurs doivent repérer les personnes qui font les choses à l’envers et travailler avec elles à résoudre les problèmes de manière à ne pas renforcer cette culture absurde de la médaille aux personnes qui ne s’arrêtent jamais. Les temps sont durs et chaque personne peut fournir plus d’efforts à hauteur de ses capacités, mais que se passe-t-il lorsque vous avez besoin de plus qu’elles ne peuvent vous offrir ? Le pire. 

On line calendar filled with various work related meetings and events

La confiance est essentielle au maintien d’une main-d’œuvre stable et motivée, surtout en période d’incertitude économique. Les ralentissements économiques et les fluctuations du marché augmentent l’insécurité de l’emploi et le niveau de stress du personnel. Dans ces périodes, renforcer la confiance en valorisant les contributions réelles plutôt qu’apparentes peut donner aux équipes un sentiment de stabilité et d’appartenance et réduire les renouvellements coûteux de ressources humaines. Le changement culturel qui consiste à passer de la valorisation de l’activité apparente à la reconnaissance de la production réelle n’est pas un simple changement de stratégie opérationnelle, mais une transformation des valeurs mêmes de l’organisation. Un autre domaine clé qui entre en ligne de compte dans cette question. Plus que jamais, je constate que le personnel ne connaît pas les valeurs de son entreprise, ni même son objectif et sa mission. Il est important de mettre en avant ces valeurs, évidemment pas pour que les équipes saluent un personnage de dessin animé à l’entrée d’un bâtiment ou chantent la chanson de l’entreprise avant chaque appel Zoom, mais pour souder les équipes hybrides, favoriser les bons comportements entre collègues et, d’une manière générale, instaurer et cultiver un climat de confiance.

L’appel à l’action

Cette situation est aussi compréhensible que regrettable. Je ne plaide pas en faveur de l’interdiction des applications de planification, mais simplement contre les mauvaises pratiques en la matière. La conjoncture est complexe. Les cadres et les chefs d’entreprise devraient repenser leur budget RH, ne serait-ce que pour cela. Si vous prévoyez pour quelqu’un trop de congés, de thérapies ou pire, en plus de nuire à la personne, vous mettez les services et l’entreprise même en danger. Les coûts sont également plus élevés. Le coût moyen du remplacement d’une personne qui quitte l’entreprise n’a pas baissé : il est estimé à environ 30 000 dollars. Coûts directs et indirects compris, une personne qui touche 80 000 dollars peut coûter à l’entreprise près d’un quart de million d’euros, selon Bamboo HR. En somme,  aucune gratuité, faveur ou cadeau ne dupera personne sur le sort du pauvre Simon. Pire même, vous montrez que vous pensez pouvoir acheter les gens.

La période actuelle est difficile pour tout le monde. Les dérives de l’IA, la récession, l’incertitude politique et les libertés autrefois acquises sont aujourd’hui remises en question. Si vous tenez à ce que vos équipes soient vraiment présentes au travail et ne se contentent pas d’être une version bizarre de Don Draper, montrez-leur que vous êtes là pour elles, et faites-leur confiance pour qu’elles ne vous mentent pas. En quoi consiste alors l’appel à l’action ? Remettez en question votre politique en matière de planification et demandez-vous dans quelle mesure elle contribue activement à réduire l’épuisement de votre personnel et sa désillusion par rapport aux priorités de l’organisation. Si vous ne parvenez pas à trouver cinq réponses, prenez le temps de vous demander pourquoi et commencez à résoudre le problème.

Des outils qui font toute la différence

A MOO Notebook used by Paul Armstrong to organise his day

Il existe des outils qui permettent d’améliorer les réunions, le tout est de trouver l’outil qui vous convient et qui correspond à la tâche à accomplir. En ce qui me concerne, étant donné que je rencontre des clients, des conférenciers et des sponsors, je crée différentes sections dans le carnet rigide MOO personnalisé avec de la marque TBD, en utilisant des onglets Post-it épais pour faciliter le passage d’une section à l’autre, ce qui me permet de changer de sujet tout en ayant tous les détails sous la main.

En ligne, c’est différent : il y a plusieurs personnes qui se trouvent à des endroits différents et qui ont des besoins différents. Des outils comme Loom, un outil de messagerie vidéo, permettent aux utilisateurs de créer et de partager des vidéos, ce qui favorise la communication asynchrone. La communication en amont des réunions peut permettre aux entreprises de supprimer complètement certaines réunions ou de rendre les réunions nécessaires beaucoup plus intéressantes. L’approche d’Amazon en matière de réunions est réputée pour ses éléments de concentration ciblés et de résultats escomptés à l’avenir. Le fait d’introduire des notes d’information d’une page et de créer des tâches de type communiqué de presse en amont des réunions peut aider de nombreuses entreprises à tenir des réunions plus efficaces, plus productives et qui rassemblent les équipes. Miro est un autre outil qui peut contribuer à améliorer les réunions et la communication au sein des entreprises grâce au style de communication visuelle des tableaux blancs virtuels. Les « mercredis sans réunion » de Gousto sont une approche quelque peu radicale (encore une fois, les réunions ne sont pas mauvaises en soi), mais qui semble fonctionner pour eux, et c’est là la clé : trouver un système qui fonctionne pour vos équipes et faire le point en permanence.

À propos de l’auteur : Paul Armstrong dirige TBD Group, qui aide sa clientèle à voir plus loin grâce à ses conseils, ses produits intelligents et ses événements. Il a écrit Disruptive Technologies, livre à partir duquel il a créé la TBD Conference (dont MOO est partenaire). Il est également à l’origine de la série What Did ____ Do This Week ?, déclinée en versions Amazon, Google et OpenAI. Il contribue régulièrement à The Information, Cool Hunting et d’autres publications. Expert en technologies et tendances pour le Financial Times, le Wall Street Journal, la BBC et CNN, ses interventions sont également très demandées par les entreprises et lors de conférences pour son point de vue honnête sur la technologie, le changement et l’avenir. Il est possible de le soudoyer avec du bon café et de bons designs.

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